Dans cet entretien Benjamin Coriat, économiste au Centre d'Économie Paris Nord (Université Paris 13 / CNRS) discute les thèses issues de l’ouvrage Le retour des communs (Les liens qui libèrent, 2015) qu’il a coordonné. Il montre comment ce concept, à condition qu’il soit bien compris, ouvre d'immenses ressources pour reconstruire une politique d’émancipation.
Contretemps : Il y a cinq ans nous avions publié un entretien avec toi intitulé « la crise de l’idéologie propriétaire et le retour des communs ». Tu viens de coordonner cette année un ouvrage qui reprend ce titre, mais développe la perspective positive du Retour des communs. Dans quelle mesure cette évolution a-t-elle trait aux progrès de tes travaux et de ceux de tes collègues ou aux modifications du contexte politique ? Identifies-tu dans la période récente une amorce de retournement après trois décennies d’hégémonie néolibérale dont les réflexions sur les communs pourraient être les prémices idéologiques ?
Dans cette idée du « retour du commun » il y a plusieurs choses qui convergent.
D’abord l’idée que les « marchés sont efficients » et sont la bonne solution à tout, a été dans les dernières années, sérieusement mise à mal.
La crise commencée en 2007-2008 est celle précisément de l’idée – martelée pendant des décennies - que les marchés laissés à eux-mêmes sont capables d’assurer les bonnes allocations de ressources. Du coup, l’idée sous-jacente, car elle est sa condition et son fondement, que la propriété privée et exclusive est la seule forme de priorité capable de garantir le bon fonctionnement des sociétés, s’est trouvée elle aussi fortement démentie, et par les faits eux-mêmes. Certes il y a eu la « stratégie du choc » (pour parler comme Naomi Klein) qui a consisté à faire accroire que la crise était d’abord celle des dettes publiques (et donc de l’incurie de l’État), mais il faut toute la mauvaise foi de la pensée néolibérale (largement propagée il est vrai), pour cacher le fait que si la dette publique a gonflé dans les proportions où elle l’a fait (passant en Europe de 60% en moyenne en 2007, à plus de 80% en 2010) c’est, avant tout, pour venir au secours des marchés financiers et empêcher la destruction du système bancaire. A entendre nos collègues, à lire la presse, je reste souvent pantois. Je ne sais plus s’ils sont ignares, ne savent rien – pas même que c’est la dette publique, et sa brusque expansion, qui a permis de sauver les marchés – ou s’ils font les imbéciles, le savent parfaitement mais continuent de jouer leur rôle de propagandiste envers et contre tout ... avec la plus grande mauvaise foi du monde.
Bref, en dépit de ce qui est martelé par les idéologues néolibéraux, chacun au fond de lui-même sait bien désormais que la propriété exclusive, la bride laissée sur le cou aux marchés a conduit à la fois à des sommets d’inégalités (les fameux 1%) et à des cataclysmes.
Auteur de l'article : Cédric Durand
Crédits : cette courte citation est relayée depuis un autre site à titre d'information.